They Forgot To Treat Us
25 ans après les accords de Dayton, la situation en Bosnie-Herzégovine semble figée. L’avenir, les jeunes préfèrent ne pas y penser. Ils regardent vers le passé ou partent construire leur présent ailleurs, loin d’un pays qui n’existe plus.
En août 2018, je rencontre cette génération qui a grandi dans cette ville assiégée, pilonnée et ravagée par les bombardements incessants. Une génération marquée par la guerre et la mort. Une génération sans repères, survivant dans une sorte de perpétuel exil, et dont l’horloge du temps semble s’être arrêtée.
Cette génération a grandi sur la nostalgie d’un temps qu’elle n’a pas connue. Une époque révolue, celle du Maréchal du Tito symbole de « fraternité et unité » où les peuples de l’ex-Yougoslavie vivaient ensemble, voyageaient librement et où la jeunesse était au coeur de la vie et de l’espoir. Tout cela semble n’être qu’un lointain souvenir.
Malgré la fin du conflit « armé » et les accords de Dayton de 1995, la guerre n’a cessé d’être omniprésente dans la vie quotidienne : la presse, les murs criblés d’impacts de balles, ou les politiques nationalistes qui continuent d’entretenir les divisions ethniques. Aujourd’hui, la Bosnie-Herzégovine est étouffée par la pauvreté, la corruption et surtout, le chômage qui touche principalement les jeunes et les pousse à quitter ce pays qui semble ne pas vouloir d’eux.
À Sarajevo, je rencontre Adela Jusic, une artiste reconnue de la capitale bosnienne, née en 1982. Aujourd’hui âgée de 37 ans, Adela avait une dizaine d’années pendant le siège de Sarajevo.
Sa pratique artistique porte sur la création de la Yougoslavie socialiste et sa dissolution, la guerre en Bosnie et son impact sur la réalité politique, économique et sociale actuelle, en particulier chez les femmes.
“Le 3 décembre 1992, mon père, un sniper, a été tué par un autre sniper, une balle dans l’œil droit.”
Dès l’âge de 9 ans, son père, membre de l’armée bosniaque, lui apprenait comment nettoyer son fusil lorsqu’il rentrait à la maison. Quelques années plus tard, Adela retrouve son journal intime dans lequel il racontait ses actions militaires durant la guerre.
Traumatisée par les tirs des snipers, Adela passe désormais ses journées dans des espaces confinés comme son appartement où elle peut recevoir ses amis pendant plusieurs jours jusqu’à épuisement.
En février 2020, elle prend conscience que son addiction à la drogue et à l’alcool est liée au traumatisme de la guerre. « ils nous ont donné à manger, reconstruit nos monuments historiques mais ils ont oublié de soigner les gens ».
Ce travail est un état des lieux 25 ans après la fin de la guerre. Une guerre désormais invisible.
A travers Adela et son entourage, je dresse un portrait de cette génération traumatisée par la guerre autour de l’intimité et de la mémoire.