
LE CIMETIÈRE DES RÉFUGIÉS DE BIHAĆ
Près de 70 000 réfugiés, venus du Moyen Orient, d’Asie du Sud et d’Afrique ont transité par la Bosnie-Herzégovine ces trois dernières années, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Le nord-ouest du pays est même devenu le principal point de passage vers l’Union européenne de la route qui court dans les Balkans.
Après la Bosnie-Herzégovine, les exilés doivent encore traverser la Croatie, la Slovénie et finalement l’Italie – un voyage dangereux qu’ils appellent le « game », le « jeu », et qui les oblige à franchir rivières et montagnes dans des conditions extrêmes afin d’échapper à la police croate.
Mais pour certains d’entre eux, le rêve d’une vie meilleure s’arrête brutalement. Ceux qui perdent la vie sont enterrés dans un pays où ils pensaient n’être que de passage. Depuis 2019, une quinzaine de réfugiés ont été inhumés dans le plus grand cimetière musulman de Bihać, près du village de Ceravci, où reposent des centaines de victimes de la guerre de 1992-1995.
En contrebas du cimetière, des planches de bois peintes en vert sont plantées à même le sol. Une odeur insoutenable s’en dégage. Ces planches qui font office de pierres tombales portent la mention « N.N.Lice », l’abréviation bosnienne pour « Personne non-identifiée ». L’identité des défunts n’a jamais été déterminée par la police. Des habitants ont déposé des roses en plastique, ou des vrais, déjà fanées.
Certains citoyens de Bihać ont en effet décidé de dédier un espace aux réfugiés morts sur la route. Il est impossible de chiffrer le nombre de personnes décédées prématurément en chemin, mais, pour la plupart, ils sont morts en essayant de traverser à la nage la rivière Una, où ont été victimes des fumées de feux qu’ils ont allumés pour se réchauffer du froid. Certains ont été tués dans des bagarres.
La plupart des victimes sont âgées d’une vingtaine d’années. Abdul Aziz Nurspahić, l’imam de Bihać, se charge des enterrements, dès que la police a déterminé les causes des décès. Même dépourvues de nom, ces planches témoignent du passage de ces hommes sur la terre, après un long et douloureux voyage.
Certaines sépultures portent un nom, comme celle d’Abdulhamed Noori, originaire d’Afghanistan. Cet homme de 32 ans s’est noyé dans la rivière Una, près de l’hôtel Sedra, où il résidait avec sa femme et ses deux enfants. Sur sa tombe, il est inscrit : « Cette pierre tombale a été érigée par le peuple de Bosnie-Herzégovine ».
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