À BIHAĆ, SCOLARISER LES ENFANTS, UNE PRIORITÉ
Article publié dans le Courrier des Balkans le 18 septembre 2019
On les appelle les « children on the move », les « enfants en déplacement ». Ils sont sur les routes depuis des mois voire des années, ils sont privés de foyer et d’éducation et sont parfois seuls. Grâce à la mobilisation de quelques enseignants de la région de Bihać et au soutien de l’Unicef et l’OIM, certains sont désormais scolarisés dans les écoles du canton d’Una-Suna.
Dans le canton d’Una-Sana, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine, là où se massent les candidats à l’exil qui veulent pénétrer dans l’Union européenne via la Croatie, environ 250 enfants seraient en ce moment présents dans différents camps. Ils viennent pour la plupart d’Irak, Syrie, Pakistan et d’Afghanistan. Alors, face à l’afflux de ces mineurs, un groupe d’enseignants de Bihać a décidé de mettre en place des ateliers de musiques, d’arts plastiques et de langues. Leur objectif : intégrer et éduquer ces jeunes depuis longtemps déscolarisés. Et leur redonner un peu d’espoir.
Adnan Busuladžić et Sanel Kabiljagić sont professeurs de musique à l’école d’Art de Bihać. Les deux enseignants ont commencé par animer des ateliers dans les camps de Sedra et de Borići, où sont hébergés les enfants, les femmes seules et les familles. La précarité de ces centres et le manque d’infrastructures adaptées ont ensuite incité l’OIM, l’Unicef et l’ONG Save the Children à débloquer des fonds pour que les écoles du canton puissent accueillir les petits réfugiés.
« Les débuts étaient difficiles car très peu parlaient la langue. Avec quelques-uns nous pouvions communiquer en anglais, mais c’est à travers l’art et la musique qu’ils s’exprimaient le mieux », raconte Adnan. « De nombreux parents d’élèves de Bihać étaient réticents à l’arrivée de ces enfants. Il y avait un mur entre les jeunes mais, au final, ils sont tous devenus amis ».
« L’intégration dans les écoles de Bihać se fait en plusieurs étapes », explique Nermina Delić, enseignante à l’école élémentaire Harmani II. « Les professeurs suivent tout d’abord une formation pour pouvoir accueillir au mieux les enfants d’une autre culture, qui ont pour la plupart vécu de nombreux traumatismes ».
Avant leur entrée à l’école, les futurs élèves doivent ensuite passer une visite médicale et avoir leurs vaccins à jour. Les frais de scolarisation sont pris en charge par l’Unicef. Les enfants suivent des ateliers préparatoires appelés « Heart ». Ils y apprennent les bases du serbo-croate, nécessaires à leur entrée dans les écoles publiques locales. C’est aussi un moyen d’identifier ceux ayant besoin d’une aide plus spécifique.
Après un, deux ou trois mois les enfants intègrent les écoles du canton. L’OIM facilite leur transport entre la structure d’accueil et l’école. « Certains restent seulement une journée, d’autres quelques mois ou même une année. C’est une école en mouvement », précise Almira Džanić, professeur à l’université de Bihać.
La grande majorité des réfugiés bloqués dans le canton d’Una-Sana ne souhaitent pas rester en Bosnie. Ils veulent franchir la frontière avec la Croatie voisine. Mais c’est de plus en plus difficile et dangereux. Almira se dit pourtant qu’il serait positif pour la Bosnie que certains de ces enfants restent : « Il y aurait des médecins, des restaurants de cultures différentes. »
Le 12 septembre, le Premier ministre du Canton d’Una-Suna, Mustafa Ružnić, s’est entretenu avec une délégation de l’Unicef, dirigée par Alwin Nijholt, représentant adjoint de l’organisation des Nations unies pour l’enfance en Bosnie-Herzégovine. L’Unicef a réaffirmé son soutien à la scolarisation des enfants réfugiés de Bihać. « Pour nous, chaque enfant est important », a précisé Alwin Nijholt. Depuis l’hiver 2019, l’Unicef collabore avec cinq écoles du canton. Grâce à ce programme, 250 enfants ont été scolarisés.
« Nous n’avons pas de problème avec les enfants. Un enfant reste un enfant peu importe son parcours », explique Sanel Kabiljagić. « Le problème vient du gouvernement qui n’assume pas ses responsabilités face à l’afflux migratoire. C’est un projet très difficile à mettre en place. Les fonds ne suivent pas, alors que l’on nous demande d’intégrer toujours plus d’élèves. »
Trente-neuf enfants du camp de Borići, une ancienne résidence étudiante, ont déjà passé leur visite médicale et ont été vaccinés. Ils sont désormais prêts à aller à l’école, mais en cette rentrée scolaire 2019, les écoles du Canton d’Una-Sana sont fermées en raison d’une grève des enseignants, qui protestent contre la faiblesse de leurs salaires.
Hasan et Husein, sont deux jumeaux de 14 ans. Ils ont fui l’Azerbaïdjan avec leur mère « pour des raisons politiques ». Hébergés à Borići, ils sont scolarisés à l’école primaire Harmani II. Ils y suivent le même cursus scolaire que les enfants de Bihać, et se réjouissent « d’avoir plein d’amis ».
Leur mère, Kamala, souhaite rester en Bosnie-Herzégovine avec ses deux ados. La demande d’asile de la famille est en cours. Hasan et Husein racontent que plus tard, ils aimeraient bien intégrer l’équipe bosnienne de football, « les Dragons ». Pour le moment, ils attendent avec impatience leur retour sur les bancs de l’école.
https://www.courrierdesbalkans.fr/Bosnie-Herzegovine-enfants-refugies-Bihac-ecole
Jeanne Frank
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